C’est quoi le Columbia Circus ?

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C'est quoi le Columbia Circus ?

Même s’il est difficile de définir précisément quel cirque a inspiré le “Columbia Circus”, les influences de Cécile Léna nous éclairent cependant.

 

Le Columbia Circus, c’est d’abord un chapiteau rouge, une couleur emblématique au cirque, installé sur une place sous lequel on imagine un spectacle composite mêlant les disciplines artistiques.

Mais à y regarder de plus près, c’est bien le cirque dans sa plus grande diversité que Cécile Léna a convoqué. Le Columbia Circus ne nous parle pas d’un cirque mais “des cirques” : On peut y percevoir à la fois l’esthétique du cirque classique, foisonnant et spectaculaire à l’image de son chapiteau rouge et lumineux, du cirque forain, modeste et itinérant symbolisé par la caravane, et enfin de la communauté partagée du cirque nomade, exotique et convivial.

 

Columbia est le personnage central de ce cirque, elle lui donne son nom et pourrait en être le numéro vedette. Elle n’est pas seule, dans sa loge d’autres personnages sont évoqués. Cette question de troupe, de compagnie ou de collectif est un thème central de l’histoire du cirque. La notion de “faire famille” est une inspiration dans le travail de Cécile Lena.

Le cirque c’est d’abord une aventure humaine, des groupes qui se construisent au sein des familles ou plus récemment des collectifs d’artistes et des compagnies. Dès lors, ces aventures collectives s’enrichissent des personnalités, des compétences, des esthétiques de chacun et constituent des communautés rassemblées autour de valeurs communes. De cette manière le cirque peut être vu comme un projet de société.

 

Si Cécile Léna a choisi d’évoquer son personnage dans cette caravane, c’est parce que la loge possède un pouvoir symbolique très fort. C’est à la fois le refuge et le lieu de la transformation. Elle incarne tout à la fois : l’endroit de la solitude, de l’isolement et celui de la tension qui s’exprime avant d’entrer en scène. Face à son miroir, elle mêle une dernière fois l’intime et le personnage de spectacle, le quotidien et le rêve, le personnage réel et la fiction. C’est aussi le lieu des rituels où l’on peut convoquer certaines formes de croyances, voire de spiritualité, afin de surmonter des résistances : le trac, le rapport au risque…

 

Le trapèze apparait comme un agrès porteur d’’imaginaire au pouvoir symbolique fort, en invitant à s’affranchir des lois de la gravité.

Les émotions qu’il fait naître sont universelles : l’émerveillement et la persévérance face à la prouesse d’une part, le courage face au danger d’autre part.

Mais c’est aussi l’agrès qui conjugue les contraires : “Dans ses usages, comme dans la réception des numéros, il engage systématiquement un jeu avec la binarité du lourd et du léger, du mobile et de l’immobile, du plaisir et de la douleur, de l’actif et du passif, du puissant et du fragile, du masculin et du féminin”. (Pascal Jacob – BNF CNAC).

 

Des cinéastes comme Wim Wenders ont été sensibles à cette poésie du trapèze. Dans “Les ailes du désir” de Wim Wenders, un ange devient mortel en tombant amoureux d’une trapéziste… Ce film sombre sur la nature humaine et la beauté de l’existence, fait écho à cette ambiguïté de l’expérience du trapéziste : la matérialité et l’immatérialité, le terrien et l’aérien, la vie et la mort. “Voler comme on nage, comme on respire, comme on aime… se laisser porter par les ailes du désir” (Extrait du film de Wim Wenders).

 

D’autres artistes ont voulu renouer avec cet imaginaire du trapèze. En 1993, dix artistes de cirque, formés dans des écoles différentes, se regroupent autour de Stéphane Ricordel, Fabrice Champion et Laurence de Magalhaes pour fonder “Les Arts Sauts”. Leur objectif : construire une démarche artistique centrée sur leur spécialité, le trapèze volant, concevoir le plus grand spectacle de voltige du monde et incarner “l’esprit de l’air”.

 

Ils créent un des premiers spectacles monodisciplinaires, en conciliant prouesses et jeu d’acteur. “Ils volaient haut dansaient loin, s’élançaient à 28 mètres de nos yeux, chutaient parfois dans l’immense filet de protection, accompagnés par un violoncelliste et une chanteuse lyrique tout aussi perchée, et par nos cris de stupeur répétés.” (Extrait du panorama contemporain des arts du cirque).

 

Trois spectacles font le tour du monde, “Les Arts Sauts” (1994), “Kayassine” (1998) et “Ola Kala” (2003) et leur compagnie devient une référence dans le cirque contemporain.

 

“Cette révolution […] est le fait d’un collectif unique en son genre qui a su mettre en actes une utopie de départ et donner corps à son désir pendant presque quinze ans” disait Marc Moreigne (Entretiens avec Fabrice Champion, Laurence de Magalhaes, Stéphane Ricordel chez Actes Sud.)

LES SOURCES D’INSPIRATION

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LES FILMS QUI ONT INSPIRÉ LA CIRCO MOBILE

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Les ailes du désir

“Les ailes du désir” est un film du réalisateur allemand Wim Wenders sorti en 1987. Dans Berlin, avant la chute du mur, deux anges Cassiel (Otto Sander) et Damiel (Bruno Ganz) errent dans la ville, observent ses habitants et entendent toutes leurs conversations et pensées intérieures. Visibles seulement aux yeux des enfants, ils sont tentés de quitter leur monde d’immortalité en noir et blanc pour vivre sur terre. Au risque de se brûler les ailes, Damiel  renonce à son immortalité et fait le grand saut pour rejoindre Marion (Solveig Dommartin) une jeune trapéziste, auréolée de lumière, qui vole et virevolte entre la terre et le ciel du chapiteau dans le monde coloré du cirque Alekan. Une fois le chapiteau démonté, les artistes reprennent leur itinérance et c’est de la trace laissée par le chapiteau que Marion et Damiel, prennent leur envol pour une nouvelle vie.

 

Ce film renvoie entre autres à une réflexion sur l’apesanteur, la conscience, le corps, l’éternité, l’instant présent et la condition humaine.

De l’eau pour les éléphants

Inspiré d’un best-seller écrit par la Canadienne Sara Gruen en 2006, “De l’eau pour les éléphants” est un film américain, réalisé en 2011 par Francis Lawrence avec pour acteurs principaux Reese Witherspoon, Robert Pattinson et Christoph Waltz.

Aux États-Unis pendant la Prohibition et la grande dépression des années 30, Jakob, jeune orphelin, ne peut poursuivre ses études pour être vétérinaire. Il saute alors dans un train qui transporte le petit cirque ambulant des Frères Benzini et se fait embaucher comme soigneur. Il apprend à connaître le monde du cirque côté spectacle sous le chapiteau illuminé mais découvre aussi l’envers du décor souvent misérable aussi bien pour les humains que pour les animaux. August, le directeur du cirque achète une éléphante Rosie que personne, hormis Jacob et Marlène, écuyère et femme du directeur, ne réussit à dresser.  Marlène et Jacob s’éprennent l’un de l’autre et prennent tous les risques pour s’opposer à la violence d’August.

On retrouve dans ce drame des thèmes liés à l’univers circassien :

• L’itinérance, non pas en roulotte mais en train pour sillonner le vaste territoire américain

 

• Le spectacle avec ses animaux, ses artistes, ses lumières, sa magie et ses spectateurs émerveillés

 

• Les coulisses du spectacle avec le montage du chapiteau, les répétitions, les rapports de force entre les artistes, les employés qui officient derrière la gardine

 

• La vie d’un cirque de son apogée à son déclin.

The Circus

“The Circus”, au départ intitulé “The Clown”, est une comédie dramatique américaine réalisée en 1928 par Charlie Chaplin qui en est également le producteur et l’acteur principal.

L’univers du cirque est pour Chaplin le lieu d’expression privilégié de ses numéros comiques qu’il n’avait pas scénarisés, de sa poésie, de ses rêves mais aussi celui de nombre de drames humains. Pour la réalisation de ce film, il fit dresser un véritable chapiteau, entouré de roulottes et d’une ménagerie.

Pourchassé par un policier, le vagabond Charlot se réfugie sous le chapiteau d’un cirque en plein spectacle. Perturbant la représentation, il déclenche les rires des spectateurs ce qui conduit le directeur à l’embaucher comme clown puis homme de piste. Sa maladresse va faire de lui peu à peu l’attraction principale du cirque, surpassant clowns, dompteurs et acrobates. Charlot devient amoureux de Merna, écuyère et fille du directeur, mais celle-ci est sous le charme de Rex, le funambule. Charlot finit par quitter le cirque, un monde entre rires et larmes que la chanson du film Swing Little Girl chantée par Chaplin lui-même en 1969 retranscrit :

Balance-toi, petite fille,

Vole haut vers le ciel,

Et ne regarde jamais vers le sol…

Si tu cherches des arcs-en-ciel,

Vers le ciel lève ton regard.

Jamais tu ne trouveras d’arcs-en-ciel

 

Si tu regardes vers le sol…

La vie peut être triste,

Mais elle n’est jamais pareille,

Des fois il fait soleil,

Et des fois il pleut…

 

Balance-toi, petite fille,

Vole haut vers le ciel,

Et ne regarde jamais vers le sol

Si tu cherches des arcs-en-ciel,

Vers le ciel lève ton regard,

Mais jamais, jamais ne regarde vers le bas.

L’ITINÉRANCE ET LE CHAPITEAU

Le chapiteau et l’itinérance sont étroitement liés car ils sont motivés par la recherche d’autonomie, de liberté et de lien avec le territoire. Là où le chapiteau s’installe, monumental et coloré, il attire et invite à la rencontre.

 

Christophe Blandin-Estournet écrivait dans “Les arts de la piste” de février 2005 dans le dossier “Les lieux du cirque” sur le chapiteau : “Le chapiteau de cirque pourrait même être perçu comme l’illustration contemporaine du don, au sens de Marcel Mauss (voir ses recherches sur les échanges au sein des populations malénésiennes). Celui-ci définit en effet le don par trois actes qui se succèdent : donner, recevoir et rendre. Démarche de partage réciproque où le cirque donne, en ce sens qu’il va à la rencontre des gens à travers son spectacle, son mode de vie itinérant et son chapiteau ; la population reçoit cette offre (comme on reçoit chez soi des invités) et la rend, autant par l’accueil temporaire physique du chapiteau sur son territoire que par la sortie au spectacle. Cette notion met en jeu inconsciemment et symboliquement une relation différente (plus équilibrée?) entre l’artiste et le spectateur.”

 

Pour les artistes de cirque et les compagnies, se produire sous un chapiteau relève de choix : artistiques, identitaires et économiques. C’est un choix de vie, un rêve de collectif et de liberté.

 

Il existe de multiples architectures du cirque, selon la classification de Christian Dupavillon dans “Architectures du cirque” : le cirque à demeure, le cirque de relais et le cirque de voyage.

 

Outre le chapiteau, les spectacles de cirque sont également présentés en salle ou dans l’espace public. Dans son ADN, le cirque est un art composite, fait de métissage artistique ; il emprunte à d’autres arts pour construire une proposition singulière (musique, danse, théâtre, arts visuels…)

 

Certaines compagnies font le choix du chapiteau et apparait, dans ces conditions, comme une revendication forte de leur expression.

 

Lorsque Johann Le Guillerm utilise le terme de “cirque”, c’est d’abord pour désigner un espace, une “architecture naturelle”, ancestrale. Inscrivant sa démarche dans une tradition archaïque du cirque, il déclare par ailleurs : “Pour moi, le cirque est une vie nomade. Le chapiteau, la piste, cet espace ancestral, est une architecture de l’attroupement et, surtout, permet la multiplicité des points de vue sur son point central. Et puis il ne faut pas oublier que pour certains le cirque est le métier des voleurs de poules, les pieds dans la boue des chemins. Il y a encore peu, nous dépendions du ministère de l’Agriculture, pas celui de la Culture. À force d’avoir voulu anoblir le cirque, on l’a dénaturé. Mais le cirque n’a pas besoin d’être anobli : il a sa propre noblesse.” Revendiquant cet espace (la piste, le chapiteau), il marque sa singularité à l’heure ou d’autres font du cirque sur scène, en frontal, dans un théâtre. La formule “espace des points de vue” est celle qui résume probablement le mieux la conception du cirque de Johann Le Guillerm. Pour lui, le cirque n’a de sens qu’avec une piste permettant un regard à 360 degrés et une multiplicité de points de vue.” (Extrait de pièce (dé)montée sur Attraction de Johann Le Guillerm, une collection de dossiers pédagogiques coordonnée par le CRDP de l’Académie de Paris.)

 

La conception du chapiteau participe au projet artistique global proposé par les compagnies : Les Colporteurs, les Arts Sauts, Archaos, Cirque Trottola, Epicucle – cirq VOST.

 

Dans les arts du cirque, l’architecture participe du spectacle. Pénétrer sous le chapiteau est déjà une expérience forte. Le public est aussi convié à découvrir l’univers de la compagnie.

 

Enfin, le chapiteau transfigure l’espace où il s’arrête, il créé un espace poétique. D’ailleurs, la trace qu’il laisse sur la place une fois parti en est l’ultime témoignage.

Quelques témoignages :

Les colporteurs

 

“Nous défendons l’itinérance et la présence des caravanes autour du chapiteau, comme un certain mode de vie, un engagement de chacun dans une aventure collective.

Nous portons un soin particulier au sens de notre présence au cœur des villes, des territoires traversés. Nous œuvrons pour installer un campement accueillant, ouvert, créant les conditions d’une rencontre au-delà des moments où nous présentons nos spectacles.

Le chapiteau, avec sa piste en arène, est notre lieu de prédilection. Il nous permet de jouer devant un public large et familial, de partager avec lui nos questionnements et réflexions.”

NoFit State Circus

 

“Trente ans après ses modestes débuts, NoFit State estime toujours que le total dépasse la somme des parties. La société vit ensemble, travaille ensemble, mange ensemble, rit et pleure ensemble – voyageant dans des camions, des remorques et des caravanes et vivant et respirant comme une seule et même communauté.” Extrait du site de la compagnie

 

Le Cheptel Aleïkoum

 

“… (le collectif) s’est construit au fur et à mesure des années avec une envie commune de rassemblement, de mutualisation et de liberté. Partis de l’envie de rester ensemble sans pour autant rester exclusifs au collectif, les individus qui le composent ont le désir de créer leurs propres spectacles tout en restant liés à cette compagnie. C’est ce qui fait à la fois la complexité et la force de ce collectif. Ainsi, par son côté polyvalent, multiforme, mais malgré tout recentré, le Cheptel Aleïkoum n’est pas, à proprement parler, une compagnie au sens classique du terme mais bien un collectif d’artistes de cirque.” Extrait du site de la compagnie

 

“C” comme Chapiteau

 

“Les convois étaient arrivés la veille au soir. D’un geste sûr, au bout d’une chaîne, la main déposait sur le gravier un petit tas de poudre blanche. Puis deux pas entraînaient, au bout d’une chaîne, la main vers un autre tas, un autre arrêt. Les hommes ne marquaient avec de la levure de boulanger et non du plâtre de décorateur. Les petits tas formaient un cercle. (…) Traces ésotériques, appel à une protection divine (…) Donc toujours des clous et des roulottes. Et la farine de blé répandue au sol en offrande aux dieux du voyage et de la fête. (…) Le vent de ce navire d’espoir que l’on était à dresser sur cette place.

 

Un chapiteau.

 

Grosse bête qui se frotte au ventre des villes. Le chapiteau ronronnant de tous ses drapeaux sur le coussin des fantasmes et des rêves du voyage. Les hommes empoignaient la toile à pleines mains. La main sentait par rafales le vent qui jouait. Comme des pêcheurs à la relevé du filet, ils tendaient ce piège à mémoire des éternelles enfances sur la mer aux doutes des cités polluées.”

“E” comme Enfance, Cirque et Nostalgie du paradis

 

“Le cirque des tout-petits enfants est le cirque voyageur.(…) Voilà le cirque, art des commencements : “le cirque apporte le monde à votre seuil. Un monde de glace, de peurs, de crottins et de toutes les magies. Avant d’entrer dans la tente, nous frémissons d’ignorance et de désirs de savoir.

Le Cirque Plume dit : “le cirque” c’est la nostalgie du paradis !” la nostalgie du temps où nous étions des anges, la nostalgie du temps où tout était possible. L’envie d’être au cœur du monde, de la réalité et de la sacralité, dirait Eliade… De décoller de deux millimètres notre condition humaine, ajouterait mon frangin… De dépasser de manière naturelle notre condition humaine et de recouvrer la condition divine, continueraient Eliade. L’enfance du monde. Nostalgie, peut-être aussi de la toute-puissance de l’enfance. Au cirque, le monde est neuf, innocent et non séparé.”

 

“Abécédaire du cirque Plume” de Bernard Kudlak (2014)

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